Depuis quelques années en France, les SIF commencent à pousser comme des champignons en France. Difficile de les… identifier ou de les mettre dans une case : personne n’y comprend rien. Retour sur ce phénomène qui touche hommes et femmes, jeunes et vieux sans oublier petits et grands.
Jean-Eudes et Fatoumata ont 36 et 34 ans respectivement. Mariés depuis 3 ans, ils ont eu un enfant, Kylian, il y a 6 mois. Tous deux nés en France, de parents français, ils ont fait de brillantes études d’ingénieurs ; c’est d’ailleurs là qu’ils se sont connus. Le couple a décidé d’aller vivre à la campagne maintenant que les deux grosses entreprises qui les emploient favorisent le télétravail. Châlons-en-Champagne, c’est quand même pas mal, non ? Leurs 1000 m2 sont quand même mieux que leur 60m2 qu’ils louent aujourd’hui dans le XVIème arrondissement.
Marie et Jacqueline ont toutes les deux 45 ans. Elles ont dû quitter leur petit village afin de vivre leur amour en paix. Sans grandes ambitions professionnelles, les deux femmes ont enchaîné les petits boulots à la fin de leur bac. Elles savaient donc qu’elles retrouveraient du travail ailleurs facilement, dans l’agroalimentaire, où elles ont toujours travaillé. Arrivées à Châlons, elles ont emménagé dans une petite maison à côté de Fatoumata et Jean-Eudes. Elles sont aussi toutes les deux nées en France. A côté de leur maison, une maison encore plus grande. Elle appartient à Marc, 55 ans. Le quinqua s’est récemment fait licencier par son entreprise, après 30 ans passés chez eux. Remplacé par un » junior « , moins bien payé mais « plus efficace », il est parti avec un gros chèque, et ses enfants étant à la fac, il a décidé de s’acheter une maison et de se mettre à son propre compte. « Consultant », dit-il à ceux qui viennent le rendre visite : surtout pour profiter de la belle piscine et du jacuzzi, couvert à côté. Depuis son divorce, il vit tout seul, mais il le vit très bien, apparemment. Il n’a pas vraiment de clients et il s’est mis au bricolage et aux jeux vidéos.
Fatoumata, Marie, Jacqueline, Jean-Eudes et Marc ont tous un point commun. Ce sont des SIF. Des Sans Identités Fixe. Ni de droite, ni de gauche, ils ne votent plus depuis longtemps. Quand on leur demande ce qu’est la France, pour eux, la réponse est souvent évasive. Là où beaucoup voient un idéal politique, sociétal, ethnique, environnemental ou économique : eux ne savent plus quoi répondre. Par contre, ils reconnaissent tous au moins que c’est le pays où ils sont nés. Ouf. Au moins un point commun. Mais ils n’entrent dans aucune case. Par exemple, ils ne sont ni pour, ni contre les éoliennes ou le nucléaire. Ils font même l’erreur de penser que le mélange des deux est possible et qu’il faudrait surtout qu’on apprenne à consommer différemment.
Fatoumata, qui a des parents sénégalais de confession musulmane, n’est plus pratiquante depuis longtemps, même si elle a grandi dans ce milieu-là. Elle n’est pas contre le port du voile, même si elle pense parfois que les prières de rue, c’est quand même un peu trop. Elle sait qu’il est important d’aider les réfugiés et d’accueillir ceux qui arrivent légalement sur le territoire français. Malgré tout, selon elle, l’immigration dans son ensemble doit être contrôlée et on devrait avoir les moyens nécessaires d’accueillir des personnes qui arrivent en France. D’ailleurs, les personnes accueillies devraient elles aussi faire un effort pour s’adapter : après tout, ses parents l’ont bien fait, pourquoi pas les autres ? Elle reste fière de ses origines sénégalaises, de ce que la culture de ses parents lui a apporté, mais elle parvient sans problèmes à s’affirmer française et à clamer avec fierté que son pays, c’est la France.
Marie et Jacqueline, ensemble depuis 15 ans, ne sont pas complètement d’accord sur tout. Jacqueline vient d’un milieu plus conservateur, traditionnel mais elle voudrait bien pouvoir accéder à la PMA. Marie vient d’une famille bien plus ouverte : mais elle est pour la PMA et la GPA très strictement encadrées. Elles sont cependant d’accord pour ne pas aller manifester car pour elles, ce n’est pas une révolution ou un combat à mener et il y a d’autres façons d’avoir des enfants. Elles ont eu la chance de ne jamais avoir été agressées physiquement ou sexuellement et elles se réjouissent que des coupables puissent être condamnées pour leurs méfaits. Marie, qui n’a connu que des relations homosexuelles dans sa vie, glisse en souriant « On a l’impression que les femmes sont incapables de mentir et de manipuler dans ce nouveau monde. On peut détruire la vie d’un homme à qui on en veut d’un tweet. Tous les hommes sont condamnés définitivement dès lors qu’une accusation pèse sur eux, avant même qu’ils ne soient jugés et sans que la justice aie pu statuer sur leur culpabilité ou sur leur innocence ». Jacqueline, qui a une amie victime de pédophilie, pense que les criminels doivent être punis, mais qu’en même temps, les plaintes devraient rester anonymes jusqu’au jugement afin de ne pas, potentiellement clouer au piloris des coupables déclarés qui seraient en fait innocents.
Jean-Eudes est très actif dans la maison, car Fatoumata déteste faire le ménage. Sa mère l’a élevé, seule, en lui imposant une séance de ménage tous les deux jours. Il est pour l’émancipation de la femme dans la société, l’égalité salariale et (il va même plus loin) soutient que les françaises devraient bénéficier, comme en Allemagne, d’un plus long congé maternité. Mais il a du mal à comprendre comment la majorité des hommes ont acquis les titres de pervers narcissiques, d’obsédés sexuels et de machos, sans aucun distinguo. Quand il va sur Facebook, il lui semble que ce sont TOUS les hommes le problème. Il est pourtant favorable à un combat féministe, mais opposé aux combats de certaines féministes.
Marc s’est fait vacciner très vite, il est diabétique. Mais il ne comprend pas pourquoi son frère, pro-vaccin, et sa sœur, opposée aux vaccins contre le COVID, ne se parlent plus. Il comprend les deux positionnements, mais ne comprend pas comment le débat a pu prendre de telles proportions. Son frère et sa sœur, proches depuis l’enfance, ne se sont jamais disputés. Cela fait 6 mois que les réunions de familles n’ont plus lieu, car ils ne veulent plus se voir. Ils commencent à en vouloir à Marc, d’ailleurs. « Tu vois bien qu’elle a tort quand même. Pourquoi tu n’essaies pas de la convaincre ? Elle nous met tous en danger », lui dit son frère. Sa sœur n’est pas en reste : « Comment tu peux rester sans rien dire ? Notre pays vit en dictature, souviens toi des camps de concentration, ça a commencé comme ça ». Marc comprend et respecte les deux avis mais ne comprend pas pourquoi son frère et sa sœur ne comprennent et ne respectent pas le sien, plus mesuré.
Ils sont nombreux, aujourd’hui, ces anonymes modérés, à être traités de « radicaux », « d’extrémistes », de « racistes », de « criminels », de « nazillards » alors qu’ils rejettent tout simplement ces identités multiples qu’on veut leur coller à la peau. Dès lors que les SIF osent mettre un peu de mesure, de paradoxes, de dilemmes dans un jugement ou dans une pensée, ils deviennent « macronistes ». C’est bien connu, Emmanuel Macron est l’inventeur de ce concept consistant à faire du en » même temps « , qui n’existait d’ailleurs pas avant qu’il ne devienne président il y a 4 ans. Voilà l’histoire des modérés devenus des radicaux.
Les SIF ne se reconnaissent dans aucun mouvement politique, et dans aucune femme ou aucun homme providentiel. Encore une fois, ils n’iront pas voter pour la présidentielle, ni pour les législatives. Pour eux, la France est devenue un concept que chacun définit un peu comme il souhaite. D’ailleurs, ils ne lisent plus la presse : fatigués d’entendre que « les français n’en peuvent plus ». Les SIF ne consultent pas les sondages, n’ayant jamais reçu de coup de téléphone leur demandant leur avis et se demandent bien qui sont « ces français ».
A quelques mois de la présidentielle, l’heure n’est plus à tenter de positionner des personnes dans une case ou dans une identité où ils ne reconnaissent pas. Il est surtout temps de laisser à chacun le soin de se poser profondément la question de ses valeurs, de son attachement à la patrie et au système que nous avons tous le pouvoir de faire évoluer, avec notre vote et nos convictions : sans perdre de vue ce que nous sommes aujourd’hui et sans renier ce que nous étions hier.