Touche pas à mon Poste, émission animée par le célèbre animateur de C8, ne voit toujours pas ses audiences fléchir. Tout se focalise sur son présentateur, Cyril Hanouna, autant adulé que détesté, qui vient tout juste de sortir un livre sur “ce que lui ont dit les Français”. L’opportunité pour nous de se pencher sur un phénomène intéressant de l’univers audiovisuel.
Il y a quelques années encore, l’univers médiatique avait regretté l’épisode des nouilles dans le pantalon de Mathieu Delormeau, chroniqueur régulier de TPMP et habituel souffre-douleur de l’équipe. Le grand CSA avait même jugé utile de rappeler pour la énième fois à l’ordre l’émission et son présentateur fétiche. TPMP a ainsi hérité d’une réputation d’émission pour ados attardés donnant son opinion de comptoir sur tous les sujets et criant à tout va dans tous les sens (Gilles Verdez en est l’exemple le plus…criant), encourageant une culture de l’hystérie et de la stupidité. Pour la sortie du livre de Cyril Hanouna, Michel Onfray, invité à donner son avis, dit ceci : “ Vous dites ne vouloir que la rigolade, le divertissement, l’humour. Mais si tel était le cas, vous n’auriez aucune raison de vous aventurer sur tous les sujets avec vos chroniqueurs qui ont un avis sur tout, tout le temps, et qui s’autorisent, du simple fait qu’ils sont chroniqueurs, de le donner sans avoir travaillé les sujets dont ils parlent et qui sont pourtant infinis”. Et d’en rajouter une petite couche “ « Vous faites du zinc, du bistrot, du trottoir, de la machine à café votre horizon intellectuel: je ne [pense] pas que ce soit forcément la meilleure façon de ‘faire société’ comme vous dites page 25. » Ouille.
Pour tout vous dire, j’ai pendant longtemps pensé comme Onfray (oui, je me la raconte un peu) à ce sujet. Je ne supportais pas, malgré mon amour de l’humour et de la grande télé, l’émission d’Hanouna. J’ai toujours beaucoup de mal avec certains de ses chroniqueurs et son style de présentation : un mélange d’auto-glorification et de « j’aide, je connais et j’aime tout le monde ». L’art des présentateurs américains de savoir jouer une subtile arrogance avec une petite note d’humour et une générosité envers le citoyen lambda n’est pas donné à tout le monde : surtout pas à Cyril Hanouna. Ce n’est pas un monstre de délicatesse, de grâce et de sobriété. Il dérange et il est méprisé par beaucoup, notamment par ceux que certains décrivent comme “ la France d’en haut ”, bourgeoise et aisée qui voit en lui la parfaite expression du déclin de la France et de ses habitants.
C’était jusqu’à ce que je commence à réaliser que son émission reste l’une des seules « grosses » émissions authentiques du PAF aujourd’hui. Oui, on en est là : mais cela ne doit pas pour autant nous empêcher de faire ce constat.
La première chose, qu’on peut certes regretter mais qui est vraie, c’est que le format d’émission qu’il propose, sa façon de s’exprimer et d’interpeller les gens, touche une partie des français qui n’est pas insignifiante. A la différence d’un C à Vous ou d’un Quotidien, on sort d’un cadre d’entre-soi, très bon enfant et très journalistique qui est souvent, aujourd’hui, rejeté par une partie importante des français. Hanouna a des chroniqueurs différents etvariés, dont la majorité ne sont pas journalistes et qui parlent comme vous et moi. Ils parlent fort, rient fort, crient et ont des avis qui se rapprochent beaucoup de Monsieur et Madame tout le monde. C’est ce qui explique ses audiences, toujours dans le top 3 depuis plusieurs années déjà.
Là où les choses ont commencé à évoluer, et où je me suis abonné à la page Facebook de l’émission, (qui me permet de voir parfois quelques extraits), c’est que les “notables” commencent à y aller. Hier, Didier Raoult, qui passe rarement en personne sur les plateaux télé, s’était déplacé en personne. Manuel Valls, il y a quelques jours. Jean-Luc Mélenchon au début de l’année. L’un des proches d’Eric Zemmour, président de son comité de soutien est déjà venu à plusieurs reprises. Jean Messiha, ancien du FN, et chantre d’une parole très radicale sur l’islam est régulièrement présent parmi les chroniqueurs. Là où l’on voyait auparavant une émission de divertissement qui ne se prenait pas au sérieux, nous sommes aujourd’hui dans une émission d’actualités qui accueille graduellement les habitués d’autres plateaux TV plus sérieux et plus « officiels ». C’était encore inimaginable à l’époque des nouilles dans le slip de Mathieu Delormeau.
Je suis aussi, à titre personnel, déçu de le constater : mais cela reste l’un des seuls espaces où la parole reste vraiment plurielle et libre : où différentes opinions peuvent s’exprimer, dans le brouhaha des taquineries, des coups d’éclats et des clashes et buzz parfois très mal joués.
Nous pouvons aussi citer la diversité de ses chroniqueurs comme critère attractif pour le million de téléspectateurs le regardant régulièrement allant d’un Benjamin Castaldi un peu has been à un Bernard Montiel parfois intéressant à un Oliv Oliv, ouvrier dans le bâtiment, ancien gilet jaune qui intervient régulièrement. Un contraste saisissant avec le plateau très (trop?) uni-pensant de Quotidien avec l’équipe très (trop?) homogène de Yann Barthès. Pendant toute la crise sanitaire, l’émission très populaire de C8 a été la seule à donner la parole à un spectre assez large de personnes et à permettre et laisser régulièrement se dérouler des débats bien trop houleux mais pourtant à l’image d’une France ne penchant pas totalement d’un côté ou de l’autre. De même pour l’épisode des gilets jaunes. Avoir régulièrement Messiha et Belattar sur un même plateau pour débattre prouve qu’Hanouna n’a pas peur de laisser des personnes s’interpeller de façon parfois très violente et laisser du coup la colère sortir. Certains pourraient même dire que son fonds de commerce, c’est le clash et la colère. Mais force est de constater que nous aussi, spectateurs, sommes tout aussi friands de ce type de joute et que nous regardons de moins en moins les débats posés, intellectuels où des contradicteurs ont le temps de développer une réflexion et de débattre en bonne intelligence. Hanouna donne à une partie des Français ce qu’ils souhaitent, mais il le fait aujourd’hui mieux que beaucoup d’autres animateurs. Le mépriser ou le limiter au guignol de C8, c’est sous-estimer une partie de la France qui se renseigne et se nourrit chez lui. Il n’est pas exclu, que dans quelques années, ce soit lui, qui tel un Zemmour centriste, rentre dans l’arène politique en disant qu’il ne voulait pas mais qu’il “ n’avait plus le choix ”. Il aura ses détracteurs : mais être détesté, il a l’habitude.